Devant un public composé d’étudiants, d’enseignants, de nombreux partenaires industriels et institutionnels, l’ancien ministre de l’Éducation nationale a livré une analyse lucide et inspirante du rôle des ingénieurs face aux mutations technologiques, sociales et environnementales du monde contemporain.
Redonner du sens au progrès
Luc Ferry dresse d’emblée un constat sans concession : la modernité a perdu confiance dans le progrès qu’elle a elle-même produit.
L’innovation avance à un rythme effréné, mais la réflexion éthique ne suit plus. L’enjeu n’est pas de ralentir la science, explique-t-il, mais de réintroduire du sens dans l’acte technique.
La question n’est plus « que peut-on faire ? », mais bien « que devons-nous faire de ce que la science nous permet ? ».
Dans cette perspective, l’éthique n’apparaît plus comme une contrainte, mais comme une boussole : un outil de discernement pour guider la puissance technique vers des finalités humaines, sociales et environnementales.
L’ingénieur, acteur moral et créateur responsable
Le philosophe souligne l’ambivalence de la technique moderne : conçue pour maîtriser la nature et améliorer la vie, elle est devenue parfois source d’inquiétude.
De l’intelligence artificielle à la transition énergétique, les innovations d’aujourd’hui engagent des conséquences à long terme qui dépassent la simple sphère économique.
L’ingénieur ne peut donc plus se limiter à la maîtrise du “comment faire”.
Il doit également interroger le “pourquoi” et le “pour qui”.
Sa responsabilité est désormais élargie : il agit pour la société dans son ensemble, et pour les générations futures.
Cette évolution transforme profondément le rôle des ingénieurs dans les entreprises.
Ils deviennent des acteurs moraux du progrès, capables d’allier performance et conscience, innovation et responsabilité.
L’éthique, levier d’innovation
Luc Ferry renverse ici une idée reçue : loin d’entraver la créativité, l’éthique la stimule.
Les contraintes environnementales ou sociales deviennent autant de défis intellectuels et techniques qui encouragent à repenser les procédés, à innover plus sobrement et plus durablement.
L’intelligence éthique conduit à une ingénierie de la qualité, de la durabilité et de la confiance.
Ce message résonne particulièrement avec les préoccupations actuelles des entreprises, confrontées à la nécessité de concilier compétitivité, attractivité et responsabilité.
Pour Ferry, « l’éthique du discernement » n’est pas une posture morale abstraite, mais une compétence stratégique : elle fonde la crédibilité et la légitimité de l’innovation.
Former les ingénieurs de demain
En accueillant cette conférence, Centrale Lyon ENISE réaffirme sa volonté de former des ingénieurs capables de conjuguer savoir et conscience.
La formation ne se limite plus à la maîtrise technique : elle intègre la réflexion, la culture du débat et la capacité à anticiper les impacts des choix industriels.
Cette démarche s’inscrit dans une vision partagée avec les partenaires industriels de l’école : celle d’une ingénierie tournée vers la responsabilité, la durabilité et l’humain.
À travers ce dialogue entre philosophie et technique, la conférence de Luc Ferry rappelle combien l’avenir du progrès dépend de la qualité du regard que nous portons sur lui.